Voyage au cœur de la Vôge : ces communes où l’histoire façonne le paysage

11/06/2025

L’empreinte des anciennes cités thermales : le cas de Bains-les-Bains

Avant tout, il est indispensable d’évoquer Bains-les-Bains elle-même. Depuis le XVIIIe siècle, cette localité s’est construite autour de ses eaux thermales, dont la réputation rayonne au-delà de la région. La station, citée par Le Guide Joanne dès 1840, attire des curistes venus de toute la France et même d’Europe, cherchant à soulager rhumatismes, affections respiratoires et douleurs chroniques grâce aux eaux ferrugineuses et sulfurées.

  • Le Grand Hôtel, fleuron Belle Époque, a hébergé jusqu’à 300 visiteurs par saison à son apogée, dont de nombreux aristocrates russes et polonais exilés après 1850.
  • Napoléon III lui-même y fit halte le 20 août 1858, inscrivant le nom de la station dans l’histoire politique du Second Empire (Bulletin Annuel des Société des Sciences, 1899).
  • Le passage régulier de personnalités – médecins, écrivains, musiciens – conféra à la station un statut mondain, comme en témoigne le souvenir du compositeur Camille Saint-Saëns, qui dit y avoir composé les premières esquisses du Carnaval des Animaux.

Les thermes restent l’un des rares complexes français à avoir traversé la guerre de 1870 et les deux conflits mondiaux intacts – si ce n’est pour les rafistolages d’urgence liés aux pénuries. Aujourd’hui encore, le patrimoine thermal constitue l’épine dorsale de l’identité de la commune, qui a fusionné en 2017 avec ses voisines pour former La Vôge-les-Bains.

Charmois-l'Orgueilleux, carrefour d’histoire et d’eau

On imagine rarement qu’un village serré au bord du Canal des Vosges possède une aussi riche histoire. Pourtant, Charmois-l’Orgueilleux, tout au sud du territoire, raconte à sa manière les évolutions majeures de la région.

  • Dès l’époque gallo-romaine, son site fut repéré pour ses terres fertiles et la proximité de voies naturelles entre la Moselle et la Saône.
  • Le canal, percé à la fin du XIXe siècle, bouleversa la vie locale : au pic de son activité (dans les années 1920), ce sont plus de 800 bateaux qui franchissent chaque mois les écluses, transportant grains, charbon et bois vosgien (Archives Départementales des Vosges).
  • L’école du village, bâtie en 1878, fut le théâtre d’expériences pédagogiques novatrices, menées par la première institutrice laïque du canton, Eugénie Colin, favorable à l’enseignement mutuel (extrait du Cahier d’école communale, 1923).

Le patrimoine bâti, du moulin aux maisons de maître, illustre l’essor rural du XIXe siècle et la capacité de ces villages à bénéficier de la proximité du canal pour se moderniser sans renier leurs racines agricoles.

Hennezel et Clairey : forges, verreries et lignées industrielles

L’histoire industrielle de la Vôge trouve son épicentre entre les hameaux d’Hennezel et de Clairey. Ces villages, aujourd’hui paisibles sous les feuillus, furent dès le XVe siècle le théâtre d’une intense activité artisanale et industrielle.

  • Les forgeons d’Hennezel – du nom donné localement aux ouvriers du fer – travaillaient pour la forge de Saint-Blaise. Au XVIIIe siècle, la famille du même nom fit venir des ouvriers spécialisés du Dauphiné et de Lorraine, établissant une sorte d’« archipel » industriel rural (R. Fabre, Histoire des forges vosgiennes).
  • La verrerie de Clairey (1742-1937) employa jusqu’à 250 verriers et souffleurs de verre. L’activité laissa son empreinte jusqu’à la topographie locale : étang des Verriers, chemins des Potiers, etc.
  • Certaines familles sont liées à cette histoire : les Hennezel d’Ormois ou les Clairey, à qui l’on doit aujourd’hui d’importants fonds d’archives et la sauvegarde de la mémoire technique (Association Mémoire Verrière).

La « route des 1000 métiers » a traversé ça et là ces vallons, témoignant du formidable dynamisme d’un territoire inséré dans la mondialisation dès le XVIIIe siècle, grâce à l’exportation de verreries jusqu’au Brésil ou à Saint-Pétersbourg.

Fontenoy-le-Château : forteresse, inventions et artistes voyageurs

Même si son château n’est plus qu’une silhouette érodée dominant la rivière, Fontenoy-le-Château s’impose comme un foyer historique majeur de la Vôge.

  • L’enceinte primitive, datée de 1091, contrôlait le passage entre Lorraine et Bourgogne ; les murs résistèrent jusqu’au XVIIe siècle à de nombreux sièges, dont celui de 1635 par les troupes françaises de Richelieu.
  • Au XIXe siècle, le bourg devient une petite capitale industrielle : en 1833, l’ouverture de la papeterie Papetier sur la Combeauté marque la naissance d’une filière complète adossée à la qualité des eaux locales, couronnée par la création de la première fabrique française de papier à lettres imprimé en couleurs en 1871 (Musée du Papier, Fontenoy).
  • Fontenoy était aussi un point d’attache pour les marchands colporteurs, dont la Gazette du village estimait en 1890 qu’ils rapportaient chaque hiver 250 francs or de leur périple en Savoie ou en Algérie.
  • Parmi les natifs du cru, on compte Julie-Victoire Daubié, première femme diplômée du baccalauréat en France (1861), figure de l’émancipation féminine.

La richesse du bâti (vestiges du donjon, quais anciens, usines reconverties) illustre la capacité de Fontenoy à se réinventer : de bourg fortifié à bastion industriel, puis à village d’artistes attirant chaque été des expositions contemporaines et des écrivains en résidence.

La Chapelle-aux-Bois et la mémoire de la vie monastique

À l’écart des grandes routes, La Chapelle-aux-Bois évoque une histoire plus silencieuse, mais fondamentale : celle des chartreux et de la vie monastique, intimement liée au façonnement du paysage local.

  • Vers 1150, la fondation d’un prieuré par l’ordre de Saint-Bruno marque le début du rôle spirituel et agricole du village. La “Grange du Prieur”, vestige du domaine, témoigne du labeur patient des moines.
  • Les forêts furent défrichées, les terres drainées, et des étangs aménagés pour la pisciculture monastique (Domaine de la Matelotte, archives INRAP).
  • L’artisanat, notamment la production de menuiseries et d’essences médicinales, s’y est maintenu au fil des siècles. L’inventaire paroissial de 1792 rapporte la présence de plus de 80 variétés de plantes recensées dans les jardins du couvent.

Il n’est pas rare, lors des promenades dans les sous-bois, de tomber sur des bornes anciennes ou l’entrée de petits ermitages, restes discrets d’un passé où la prière et la nature s’unissaient pour façonner la Vôge profonde.

La Vôge au fil de ses communes : traditions et identités plurielles

D’autres villages pourraient apparaître dans ce parcours, chacun avec leur histoire de foires, de lavoirs, d’inventions agricoles ou de légendes. Ainsi, Xertigny mérite bien une évocation : bourg prospère dès le XIXe siècle, il sera profondément marqué par l’arrivée du chemin de fer en 1864 et l’essor de la faïencerie qui portera son nom dans toute la France. Dans les archives, on retrouve des plans d’usine, des carnets de commandes partis vers l’Angleterre ou l’Italie, et le souvenir de la cité-jardin édifiée pour les ouvriers (source : Société d’Histoire de Xertigny).

L’histoire des communes de la Vôge n’est pas figée dans le passé : des routes forestières jalonnées de croix de mission aux façades originales des fermes vosgiennes en grès rose, tout invite à la rencontre, à la curiosité, à l’enquête sensible. On y trouve le souvenir des guerres, la douceur des étangs, mais surtout la force tenace de communautés qui se sont adaptées sans jamais se renier.

Parcourir ces bourgs, c’est lire l’histoire à même la pierre et la mousse, c’est découvrir les multiples visages de la Vôge et des Vosges méridionales, entre racines, métissages et inventions. Chaque commune, à sa façon, témoigne du temps long et du génie des lieux, pour peu qu’on prenne le temps de l’écouter.

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