L’impact de la fusion communale sur le patrimoine : regards croisés à La Vôge-les-Bains

16/07/2025

Comprendre la fusion communale : enjeux et contexte

La fusion de communes, encouragée par l’État français depuis 2010 avec la loi dite "commune nouvelle" (source : Vie-Publique.fr), s’est accélérée sur tout le territoire rural dans le but de rendre les collectivités plus solides face aux défis démographiques, financiers et organisationnels. Dans les Vosges, près de 10 % des communes ont fusionné entre 2015 et 2020, soit 41 communes nouvelles créées en cinq ans (source : Préfecture des Vosges). Cette accélération administrative rebat les cartes du local, notamment autour du patrimoine.

Le patrimoine communal avant la fusion : repères pluriels

Jusqu'à la fusion, chaque commune possédait ses propres biens communaux, parfois modestes, parfois remarquables :

  • Lieux de culte : églises et chapelles, souvent dépositaire de l’histoire familiale.
  • Bâtiments civils : lavoirs, écoles, anciennes mairies.
  • Éléments naturels : sources, arbres remarquables, chemins traditionnels.
  • Petite toponymie : croix, fontaines, calvaires, bornes de chemins.

À Bains-les-Bains, l’histoire thermale s’incarnait notamment dans les thermes et leur parc, mais aussi par un tissu de sentiers, de hameaux et de lieux-dits séculaires (source : Archives de la commune de Bains-les-Bains). Harsault et La Chapelle-aux-Bois avaient développé leurs propres micro-patrimoines : moulins, églises rurales, maisons de grès. La fusion pose la question de la gestion collective de ces héritages variés.

Conséquences immédiates de la fusion : gestion, financement, priorités

La logique de fusion fait passer les patrimoines du statut de "biens propres" des anciennes communes à celui de "biens partagés" dans la nouvelle collectivité. Cela induit :

  • Redéfinition des responsabilités : Le Conseil Municipal doit désormais arbitrer entre les besoins et attentes de chaque commune déléguée, parfois au détriment de certaines priorités historiques locales.
  • Mutualisation des budgets : Les crédits alloués à l’entretien ou à la restauration du patrimoine se trouvent mutualisés. Un projet majeur (restauration d’une église, d’un monument ou d’un bâtiment public) mobilise désormais les finances du grand ensemble au risque de faire passer au second plan les petits chantiers ou le patrimoine discret.
  • Réorganisation de la gestion quotidienne : Les agents techniques, souvent connus pour leur "mémoire des lieux", se partagent entre plusieurs villages.

En chiffres, selon la Cour des Comptes (rapport 2021), une commune nouvelle consacre en moyenne 7 % de moins à l’entretien du bâti sur ses trois premières années, du fait d’une priorisation budgétaire pour l’harmonisation des infrastructures.

Visible et invisible : le patrimoine face à la recomposition territoriale

Patrimoine bâti : des chantiers conflictuels

Des situations concrètes émergent :

  • Église St-Colomban (Bains-les-Bains) : La priorité a été donnée à la restauration du clocher, la commune s’adossant à de nouvelles subventions via la commune nouvelle. Mais, par contraste, le presbytère de Harsault ou certains équipements de La Chapelle-aux-Bois voient leurs demandes de travaux reprogrammées ou différées.
  • Petite patrimoine rural : L’entretien des lavoirs, croix et fontaines se heurte à des arbitrages. Le lavoir de Mahorans, bien connu des habitants, doit parfois attendre plusieurs années pour des réparations mineures, faute de crédits ou de main-d’œuvre dédiée.

Archives, mémoires, signalétiques : quels repères pour demain ?

Le regroupement impose la réorganisation des archives et la refonte des signalétiques patrimoniales :

  • Archives : Les registres, mairies et documents historiques sont stockés en un seul point ou dématérialisés progressivement. Cela facilite la consultation centralisée mais éloigne aussi certains habitants de "leurs" archives, notamment pour la généalogie ou les recherches scolaires.
  • Signalétique : Les panneaux patrimoniaux sont en cours de réécriture : le nom et l’histoire de chaque village sont évoqués, mais parfois fondus dans la narration globale de La Vôge-les-Bains. Citons par exemple la disparition des panneaux "Harsault – ancienne mairie" au profit d’un sobriquet plus neutre : "Bâtiment communal historique".

Transmission et rituels : la dynamique du quotidien

La fusion bouleverse certains rituels collectifs :

  • Cérémonies patriotiques : Les commémorations du 11-Novembre ou du 8-Mai, autrefois propres à chaque commune, sont réunies sous une seule bannière. Cela crée parfois un sentiment de perte pour les anciens qui y voyaient une continuité mémorielle familiale.
  • Festivités et fêtes locales : Certaines fêtes (Saint-Colomban à Bains-les-Bains, feux de la Saint-Jean à La Chapelle-aux-Bois) s’effacent ou fusionnent, tandis que de nouveaux événements "intercommunaux" cherchent leur public.

Des effets contrastés sur l’inventaire et la valorisation du patrimoine

Un inventaire plus systématique

La fusion a parfois stimulé une démarche de recensement plus rigoureuse :

  • En 2018-2019, un inventaire photographique des croix de chemin et lavoirs a été lancé (source : Service Patrimoine Vosges), permettant de cartographier sur SIG le "petit patrimoine" de l’ensemble de La Vôge-les-Bains.
  • Des partenariats nouveaux avec le Pays d’Art et d’Histoire des Vosges ont permis l’inscription de certains lieux (chapelles, éléments de forêt communale) à des circuits régionaux, accessibles sur internet.

La patrimonialisation : un processus élargi, mais une dilution des identités ?

  • Le passage à l’échelle "commune nouvelle" permet de candidater à des appels à projet (Mission Stéphane Bern, Fondation du Patrimoine) jusque-là inaccessibles aux toutes petites communes.
  • À l’inverse, plusieurs habitants regrettent que certains éléments (statues de saints locaux, mobiliers religieux, granges typiques) ne soient plus cités dans les feuillets d’accueil ou le site officiel désormais commun.

Regards d’habitants : perceptions, inquiétudes, adaptations

Les témoignages illustrent la diversité des perceptions :

  • Sentiment de perte symbolique : "Notre église, ce n’est plus tout à fait la nôtre, il faut partager, attendre… On sent qu’on devient un quartier." (témoignage recueilli à Harsault, 2022)
  • Ouverture et mutualisation : "Grâce à la fusion, on a pu restaurer la nef, impossible avant, et nos enfants profitent d’activités dans l’ancienne mairie." (habitante de La Chapelle-aux-Bois)
  • Attachement au "petit patrimoine" : "Les croix de chemin, c’est l’âme du village, il faut se battre pour qu’elles restent visibles et entretenues." (groupe patrimoine local)

Globalement, la fusion entraîne une forme d’introspection sur ce qui fait "patrimoine" et sur la nécessaire redéfinition du commun. Il est intéressant de noter que, de plus en plus, des habitants s’impliquent dans des commissions ou des associations intercommunales pour défendre tel ou tel objet patrimonial.

Nouvelles perspectives : enjeux et pistes pour demain

La recomposition communale, bien que parfois douloureuse, offre paradoxalement de nouvelles avenues pour le patrimoine :

  • Créations de circuits : L’unification du territoire facilite la conception de boucles pédestres et cyclistes mettant en valeur les points d’intérêts historiques des trois ex-communes.
  • Éducation au patrimoine : Les écoles et accueils périscolaires bénéficient d’un vivier élargi de ressources et de sites à visiter ou décrire. Des concours de dessins sur le "patrimoine de la Vôge" voient le jour.
  • Médiation numérique : Plusieurs éléments patrimoniaux majeurs sont aujourd’hui accessibles virtuellement grâce à des outils élaborés à l’échelle de l’intercommunalité (voir l’application "VosgesArtPatrimoine").

Un patrimoine vivant à l’épreuve du collectif

La fusion communale, à La Vôge-les-Bains comme ailleurs, rappelle combien le patrimoine n’est jamais figé, mais au contraire le fruit de choix collectifs, de négociations et d’adaptations permanentes. Si certaines marques identitaires s’estompent, d’autres – à peine visibles ou tout juste émergentes – trouvent à s’exprimer dans les nouveaux cadres, les nouveaux usages, ou la simple volonté de "faire lien". Reste à accompagner ces mutations pour que demain, le patrimoine de chaque hameau, de chaque histoire, ait encore voix au chapitre dans la mosaïque élargie de La Vôge-les-Bains.

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