De la seigneurie à la modernité : la Vôge, un territoire en mouvement

16/05/2025

Entre duchés, abbayes et seigneurs : les influences féodales au Moyen Âge

Au Moyen Âge, la Vôge se trouve à la croisée des influences : royaume de France, Saint-Empire romain germanique, duché de Lorraine et comté de Bourgogne rivalisent pour le contrôle de la région. Le territoire est morcelé en multiples seigneuries :

  • Bains-les-Bains, possession de l’abbaye de Luxeuil, puis des ducs de Lorraine
  • La Chapelle-aux-Bois, relevant du chapitre de Remiremont
  • Hennezel et Clairey, liés à la famille des Hennezel, nobles verriers vosgiens

La présence religieuse structure profondément la Vôge. L’abbaye cistercienne de Bains-les-Bains (fondée en 1130), le prieuré de La Chapelle-aux-Bois ou l’abbaye de Droiteval jouent un rôle de premiers plan dans le développement des villages, l’exploitation agricole et forestière, ainsi que la protection des pèlerins et le contrôle des chemins reliant Bruyères, Luxeuil et Épinal. La féodalité locale veille à la sécurité mais prélève dîmes et corvées. Ces micro-seigneuries nourrissent la singularité d’un territoire souvent à l’écart des bouleversements du royaume, mais pas de ses guerres de frontières (Sources : Gallica BNF, M. Fritsch, “Les annales de la Vôge”).

Au cœur des conflits : la Vôge, entre frontière et ravages

L’histoire de la Vôge est tissée de passages d’armées et de destructions. Sa situation, entre Lorraine et Franche-Comté, en fait un théâtre secondaire mais pas moins douloureux lors des grandes guerres :

  • Guerre de Trente Ans (1618-1648) : dévastations majeures, villages incendiés, population terriblement réduite par la famine et la peste. Hennezel perd près de la moitié de ses habitants entre 1635 et 1650.
  • Conflits Louis XIV/Habsbourg : les “loups de guerre” traversent la forêt, pillant et rançonnant.
  • Révolution française : Refuge d’émigrés, passage de troupes républicaines traquant les suspects royalistes.
  • Guerre de 1870 : La Vôge, traversée par les Prussiens, se trouve à proximité de la ligne de front lors de la bataille de Nomexy.
  • Première et Seconde Guerres mondiales : la Vôge est surtout une zone de repli ou de passage, mais subit plusieurs réquisitions. En 1944, le maquis de la forêt autour de Bellefontaine et Xertigny joue un rôle dans la Résistance locale (Sources : Les Cahiers de la Vôge, Archives départementales des Vosges).

Une Révolution qui change la donne : suppression des privilèges et nouveau paysage communal

La Révolution française bouleverse profondément la Vôge. Les biens du clergé sont confisqués. L’abbaye de Bains-les-Bains est vendue comme bien national en 1791. Les paroisses deviennent des communes, rompant avec l’ancienne organisation des pouvoirs et marquant la fin de l’influence exclusive des abbayes et seigneuries laïques. Entre 1789 et 1800 :

  • Création effective de près de 25 communes sur le territoire actuel de la Vôge.
  • Suppression de la dîme, redistribution des terres.
  • Emergence de la figure du maire, se substituant au bailli ou au prévôt.

Les soulèvements restent limités : le territoire, rural et attaché à ses terres, accueille la modernité sans explosions majeures, mais avec la volonté de préserver ses forêts communales, stratégiques pour le chauffage et la construction (Source : A. Palissier, "Révolution et ruralité vosgienne").

Des forêts aux prés : agriculture et sylviculture, piliers de l’identité locale

La Vôge, souvent appelée “le bois des Vosges”, est façonnée par la forêt. Cette dernière couvre plus de 45 % du territoire (source : ONF Vosges 2019), soit davantage que la moyenne vosgienne. Chênes, hêtres, sapinières forment l’ossature du paysage.

L’économie traditionnelle repose sur :

  • La sylviculture : bois de chauffage, merrains, charpentes, charbon de bois.
  • La présence de scieries villageoises (une dizaine à Bains-les-Bains au XIXe siècle selon l’INSEE historique).
  • Élevage et prairies humides propices à la production laitière (beurre, fromages typiques comme le remoudou).
  • Cultures de seigle et de pomme de terre après 1850.

Les familles locales, souvent nombreuses, pratiquent la polyculture, alternant temps dans les prés et coupes forestières. Les droits d’usages forestiers sont âprement défendus et scellent le lien entre habitants et environnement (Source : A. Géhin, "Au fil de la forêt vosgienne").

Les prémices de l’industrialisation : la Vôge et l’économie vosgienne au XIX siècle

Le XIX siècle marque la montée de quelques industries rurales, profitant de la force hydraulique de la Côney. La Vôge reste pourtant à l’écart des grands axes textiles d’Épinal ou de Remiremont :

  • Verreries (Hennezel, Clairey) employant jusqu'à 120 ouvriers dans les années 1850 (Source : Archives de la verrerie d’Hennezel).
  • Petits ateliers de tissage à La Chapelle-aux-Bois.
  • Développement balnéaire à Bains-les-Bains : 800 curistes par an à la veille de 1914 (Ministère du Tourisme ancien statistiques).

La Vôge tire d’abord profit du bois et de l’eau, mais reste rurale et attachée à ses rythmes ancestraux, même si les progrès agricoles et la mécanisation pointent. Les activités économiques, très liées à l’environnement local, perpétuent une certaine autosuffisance jusque dans les années 1880-1910.

Le train bouleverse le paysage : le réseau ferroviaire, tournant du XX siècle

L’arrivée du chemin de fer change le destin de nombreux bourgs de la Vôge. Dès 1864, le train Épinal-Lure dessert Bains-les-Bains, puis d’autres lignes secondaires relient Fontenoy-le-Château. Conséquences immédiates :

  • Facilitation du transport de bois, de textile et de productions agricoles vers Nancy, Paris ou Lyon.
  • Développement du thermalisme : le nombre de curistes triple entre 1880 et 1910 à Bains-les-Bains (source : Archives thermales).
  • Exode rural plus marqué : le train rend plus aisé le départ des jeunes vers les usines de Nancy, Épinal ou France-Comté.

La fermeture progressive des lignes rurales à partir des années 1960 illustre à rebours les mutations de la Vôge, qui doit alors repenser ses mobilités et ses liens avec l’extérieur.

Départs, retours, métamorphoses : les grandes évolutions démographiques

La Vôge a vu se succéder des périodes de croissance et d’exode :

  • Après 1850, la population chute de 15 à 30 % dans les communes les plus rurales, surtout entre 1900 et 1950. Par exemple, Hennezel passe de 1 240 habitants en 1850 à 670 en 1960.
  • Arrivées de familles alsaciennes après 1871, descendants de protestants dans la Vôge ouest.
  • Après 1945, retour de certains exilés, installation de retraités, mais poursuite de la baisse démographique jusque dans les années 2000.
  • Plus récemment, arrivée de néoruraux, artisans, et développement de l’accueil touristique rural.

Chaque génération façonne à sa manière l’équilibre entre mémoire locale et adaptation aux enjeux contemporains (INSEE).

Mille réformes pour une identité : la Vôge et les évolutions administratives

La Vôge a vu ses frontières bouger au gré des soubresauts de l’Histoire :

  • Appartenance fluctuante entre Duché de Lorraine, Comté de Bourgogne, puis intégration au département des Vosges en 1790.
  • Rattachements communaux : création de la communauté de communes de la Vôge vers les Rives de la Moselle (2017) avec fusion de Bains-les-Bains, La Chapelle-aux-Bois et Harsault en "La Vôge-les-Bains".
  • Disparition progressive des petites paroisses polyvalentes au profit de l’intercommunalité.
  • Modifications cantonales et reconfiguration des découpages scolaires, judiciaires et sanitaires depuis 2015.

Chaque réforme est un compromis entre histoire locale, recherche d’efficacité administrative et préservation d’une identité spécifique, saluée par les habitants et de nombreux historiens locaux (Site officiel La Vôge-les-Bains).

Derrière les pierres, des histoires : communes emblématiques et témoins de la Vôge

Plusieurs communes incarnent les grandes étapes de la Vôge :

  • Bains-les-Bains : connue pour ses thermes, citée dès 1330, chapelle Saint-Colomban, anciennes maisons de gardes-forestiers, parc thermal du XIX.
  • La Chapelle-aux-Bois : vestiges cisterciens, maisons à haut pignon, temple protestant de 1854, traces d’étangs médiévaux.
  • Hennezel : histoire des verriers, chapelles discrètes, anciens ateliers, la forêt des “voyous” (très ancienne coutume locale sur les droits de ramassage du bois mort)
  • Les Voivres : terroir de sources, pierre à eau, églises à l’architecture rurale très caractéristique, atelier de faïence du XIX.
  • Fontenoy-le-Château : ruines féodales, passé industriel et imprimerie d’Épinal au XIX.

À travers ces villages, chaque ruelle, chaque mur en grès rose rappelle l’épaisseur de l’histoire locale.

Éléments du patrimoine : raconter la Vôge aujourd’hui

La Vôge regorge de témoignages visibles de son passé :

  • Vestiges verriers d’Hennezel, Clairey et Droiteval : fours, moules, bâtiments techniques classés ou protégés.
  • Fontaines et lavoirs du XVIII et XIX siècles, symboles de la vie collective villageoise.
  • Thermes historiques de Bains-les-Bains (inscrits MH en 1990), à l’architecture néo-classique, et parc thermal, poumon vert du bourg.
  • Chemins creux bordés de murets de pierre sèche, vieux arbres totems et croix de chemins.
  • Forêts domaniales et arbres remarquables, refuges de biodiversité et témoins d’un usage pluriséculaire.
  • Églises rurales du XVII siècle à charpente apparente, souvent rebâties à la suite des conflits du XVII siècle.

La Vôge se lit au rythme de ses patrimoines, où passé et présent dialoguent encore.

Entre permanence et renouvellement : la Vôge, territoire d’avenir

L’histoire de la Vôge, longue patience rythmée par la forêt, le travail, les ruptures discrètes, continue : renouveau du thermalisme, redécouverte des sentiers, valorisation de la forêt et des savoir-faire d’hier. Ce territoire, marqué par l’endurance, s’offre aujourd’hui au regard – pour peu que l’on prenne le temps d’en lire les traces.

Pour aller plus loin :

  • Les Cahiers de la Vôge, association La Sauvegarde
  • Inventaire général du patrimoine culturel des Vosges (Ministère de la Culture)
  • Archives départementales des Vosges : inventaires en ligne et expositions virtuelles
  • Gallica BNF – “Notices sur la Vôge” (fonds anciens)

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