Participer à la naissance d’une commune nouvelle : la part des habitants dans les processus de fusion

04/07/2025

L’élan des fusions communales dans le contexte français

Avant d’entrer dans le détail local, un détour par le contexte s’impose. La France compte 34 945 communes en 2016 (DGCL) : c’est l’un des chiffres les plus élevés d’Europe. Pour favoriser une réorganisation plus efficace, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, puis la loi du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, ont facilité la création de ces nouvelles entités. Entre 2015 et 2021, 820 communes nouvelles ont été créées, regroupant environ 2 500 anciennes communes (sources : INSEE, DGCL).

Dans les Vosges, 26 communes nouvelles voient le jour entre 2016 et 2021, traduisant une volonté locale de préserver les services et mutualiser les ressources. Mais quel est le ressenti des habitants et, surtout, comment ont-ils été sollicités au fil de ces décisions ?

Consultations : quelles obligations, quelles pratiques ?

Les textes législatifs n’imposaient pas la tenue d’un référendum local pour se prononcer sur une fusion communale : les conseils municipaux des communes concernées disposaient de la décision finale, leur approbation à la majorité des deux tiers étant requise (source : Gouvernement – Collectivités locales).

Toutefois, dans de nombreuses communes rurales où l’identité locale est forte, des démarches de consultation ont été engagées, qu’elles soient formelles ou informelles :

  • Réunions publiques d’information et de débat
  • Sondages et questionnaires distribués aux habitants
  • Portes ouvertes à la mairie
  • Articles dans les bulletins municipaux, tracts dans les boîtes aux lettres

À Bains-les-Bains, par exemple, dès l’automne 2015, plusieurs réunions publiques sont organisées dans chacune des trois communes. Les élus exposent les enjeux financiers (évolution de la dotation globale de fonctionnement, mutualisation des équipements...) et les contraintes à anticiper : harmonisation des taxes, avenir des associations, choix du nom de la nouvelle commune.

Les réunions publiques : espace d’écoute ou de confrontation ?

Les comptes rendus municipaux témoignent de la richesse de ces moments, souvent très vivants. Dans la salle polyvalente de La Chapelle-aux-Bois, un soir de novembre 2016, plus de 150 personnes répondent à l’invitation de l’équipe municipale. Nous avons recueilli quelques extraits (source : Archives communales) :

  • « On va perdre notre histoire, qui défendra nos petits villages ? »
  • « Est-ce que la poste restera ouverte après la fusion ? »
  • « Peut-on conserver le nom de Bains-les-Bains, reconnu pour les thermes ? »
  • Réponse d’un élu : « La commune nouvelle, ce sera l’occasion de porter plus haut les couleurs de notre territoire »

Ces réunions sont l’occasion d’aborder des inquiétudes concrètes : maintien des services, organisation des écoles, harmonisation des régimes pour les associations sportives. Mais aussi de recueillir des propositions : organisation d’une fête commune pour « donner vie » à la nouvelle commune, choix des élus délégués de quartier...

Des outils de participation variables : de l’information au suffrage

Si la plupart des démarches relèvent de l’information et du dialogue, quelques communes françaises organisent des consultations formelles auprès de leurs habitants. Par exemple, à Saint-Gildas-des-Bois (Loire-Atlantique), un référendum consultatif est organisé, dont le résultat est pris en compte par le conseil municipal, même s’il n’a pas de valeur contraignante (source : Ouest-France, 2016). En revanche, dans la Vôge, la consultation est avant tout collective et participative : assemblées générales associatives, entretiens avec les commerçants et les enseignants.

Le rôle des associations et des collectifs informels se révèle crucial dans la transmission des arguments et des inquiétudes. Leur implication favorise une certaine appropriation du processus par les habitants, notamment dans les plus petites communes (moins de 800 habitants).

En 2016, un questionnaire déposé dans les boîtes aux lettres à Harsault recueille près de 68 % de retours, témoignant d’un intérêt manifeste pour le devenir de la commune et un taux de participation inhabituel pour ce type de consultation locale (source : Mairies de Harsault et La Chapelle-aux-Bois).

Les arguments avancés par/pour les habitants

Plusieurs thèmes sont récurrents dans les échanges avec les habitants et les comptes rendus des conseils :

  • Préservation de l’identité locale : la peur de « se fondre » dans une entité moins identifiable, mais aussi l’opportunité de valoriser une image nouvelle.
  • Amélioration des services de proximité : mutualisation du personnel municipal, renforcement de la capacité d’agir sur la voirie, maintien de certains services menacés (ex : agence postale, école…).
  • Démocratie locale : interrogation sur la place des conseils de proximité et sur la capacité des nouveaux élus à défendre les intérêts de chaque quartier ou hameau.
  • Fiscalité : incertitudes sur les taux d’imposition futurs et l’harmonisation progressive.

Des retours d’expérience dans la Vôge : témoignages et réalités

À Bains-les-Bains, une poignée d’habitants se souviennent de débats animés dans les boulangeries et les marchés : « Il y avait ceux qui voyaient d’abord le risque de perdre ce qui fait le sel de chaque village, et ceux qui pensaient déjà aux changements positifs, comme la possibilité d’avoir une meilleure cantine ou des services à domicile plus efficaces. »

La présidente d’une association d’animations a quant à elle servi de point de relais entre les anciens et les jeunes habitants : « Nous avons eu le sentiment, plus ou moins agréable, que la décision nous échappait un peu. Mais il a fallu, une fois la fusion actée, apprendre à vivre et à recréer des liens autrement. »

Les écoles et les établissements de santé, souvent inquiets, ont vu passer plusieurs réunions particulières pour aborder la question des transports scolaires, du maintien d’un service d’infirmerie de proximité, ainsi que celle, plus symbolique, du choix du logo de la commune nouvelle.

Après la fusion : la participation au quotidien

Une fois la commune nouvelle créée, une nouvelle page de la participation citoyenne s’ouvre : celle de la mise en œuvre concrète. Plusieurs communes, dont La Vôge-les-Bains, mettent en place des commissions extra-municipales intégrant habitants volontaires sur des sujets variés : environnement, culture, fêtes locales. Dans la Vôge, le conseil municipal élargi accueille dès 2017 une dizaine de représentants des « anciens conseils municipaux » comme médiateurs en cas de litige ou de question d’aménagement. Ils animent des réunions de quartier, transmettent interrogations et idées.

La question du nom de la commune nouvelle n’a pas été tranchée sans consultation. Plusieurs propositions ont circulé entre habitants et élus : « Bains-Harsault-Chapelle », « La Vôge-les-Bains », « Union de la Vôge ». Finalement, en 2016, un vote lors d’une réunion publique permet de recueillir les préférences. La Vôge-les-Bains est majoritaire.

Plus récemment, la fête de la Saint-Jean, organisée chaque année à La Chapelle-aux-Bois, a été repensée collectivement pour tourner dans les trois villages : une illustration concrète de la capacité des habitants à inventer de nouveaux rituels partagés dans le cadre de la commune nouvelle.

Les clés d’une participation réussie et les défis persistants

Le cas de La Vôge-les-Bains, mais aussi d’autres communes vosgiennes, met en évidence plusieurs points essentiels pour donner du sens à la fusion et à son appropriation par tous :

  • La transparence : communiquer très en amont sur les enjeux financiers et humains.
  • L’écoute réelle : recueillir les suggestions sans peur du désaccord.
  • L’implication pratique : associer dès le début des habitants aux projets d’avenir concrets – rénovation d’une salle, fête communale, aménagement des écoles.

On observe toutefois une lassitude grandissante liée à la complexité administrative de la commune nouvelle : perte de proximité perçue, sentiment d’être parfois « loin du centre » quand l’hôtel de ville est éloigné du domicile ou lorsque les services se concentrent sur la commune principale. Ces défis demeurent un point d’attention, de nombreuses communes expérimentant – comme à La Vôge-les-Bains – des « permanences itinérantes de l’adjoint » pour garder le lien.

Des passerelles vers l’avenir : regards d’habitants sur la participation

Au fil des années, la démarche de fusion communale dans la Vôge révèle que si les habitants n’ont pas toujours le dernier mot sur la décision de fond, leurs voix – quand elles sont sollicitées et incorporées dans la réalité quotidienne de la commune – contribuent à tisser une identité partagée. La construction d’une commune nouvelle n’est pas qu’un acte administratif ; elle s’invente, au fil du temps, autour de repas de quartier, de fêtes déplacées, mais aussi de débats parfois vifs sur l’avenir des écoles ou du patrimoine.

La question reste vive : comment aller encore plus loin demain dans l’implication directe des habitants ? Ailleurs dans les Vosges et en France, on observe des expérimentations, telles que les budgets participatifs ou les jurys citoyens sur le nom des rues et l’affectation de bâtiments anciens. Autant de pistes pour continuer ensemble l’histoire commencée dans la prudence, l’hésitation parfois, mais avec la conviction partagée que donner voix aux habitants, c’est renforcer le sentiment d’appartenance et l’inventivité locale.

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