Bains-les-Bains : hôtels et villas témoins de la splendeur thermale vosgienne

01/11/2025

Les débuts du thermalisme moderne à Bains-les-Bains : une effervescence architecturale

Dès le XVIIIe siècle, Bains-les-Bains tire parti de ses eaux sulfureuses. Mais c’est à partir de 1815, avec la fin de l’Empire napoléonien et la mode des cures, que la petite cité entre véritablement dans une nouvelle ère. L’ouverture de la ligne de chemin de fer Épinal-Lure (1860) achève de transformer le paysage local : les arrivées se multiplient, entraînant la construction d’hébergements plus accueillants et élégants.

  • En 1850, Bains-les-Bains compte déjà plus de 1 050 visiteurs, chiffre qui quadruple dans les quarante ans suivants (Archives départementales des Vosges).
  • 1893 : la station atteint un pic d’environ 6 000 curistes par saison, avec plus de 40 hôtels, pensions ou meublés déclarés dans le bourg.

Les hôtels et villas voient alors le jour, alliant confort moderne, volumes généreux et détails architecturaux en vogue : toitures ornées, balcons filants, vérandas art nouveau, décors de stuc, jardins dessinés à la française...

Hôtels majeurs : panorama des établissements phares du thermalisme local

1. Le Grand Hôtel (ex-Hôtel Grand Hôtel des Bains)

  • Adresse : 8, avenue du Docteur Laflotte
  • Période d’activité marquante : 1858-1940

Véritable paquebot de pierre à deux pas des Thermes, le Grand Hôtel concentrait tous les attributs du luxe thermal. Ses salons boisés, ses vérandas vitrées et son service de table réputé furent fréquentés aussi bien par des médecins de renom que par des célébrités de passage. En 1898, il pouvait accueillir jusqu’à 120 pensionnaires, dans des chambres dotées d’un « appareil d’air raréfié » destiné aux patients atteints de maladies pulmonaires (Guide médical des eaux minérales de France, 1898).

Aujourd’hui, le bâtiment subsiste reconverti partiellement : il a perdu une partie de son faste, mais garde sur sa façade la mémoire discrète de l’époque.

2. Hôtel de la Promenade

  • Adresse : Rue de la Promenade, face aux anciens thermes
  • Période d’activité : 1863-1939

L’Hôtel de la Promenade fut prisé pour ses « cabines particulières » et son kiosque à musique. Il pouvait se targuer d’avoir entre ses murs des membres du gouvernement ou des généraux russes, venus pour la douceur du climat local. Un séjour à la Promenade s’associait souvent à des concerts organisés dans le jardin l’été.

3. Hôtel du Pavillon

  • Adresse : Place de la Mairie
  • Capacité maximale : jusqu'à 80 visiteurs (1905)

À sa devanture classique, l’Hôtel du Pavillon ajoutait le confort d’une rare modernité pour l’époque : électricité dès 1907, salons de lecture, salle de jeux et service de voiture hippomobile pour rejoindre la gare ou partir en excursion dans la forêt vosgienne.

Le phénomène des villas thermales : entre résidence d’écrivain et havre familial

À côté des solutions collectives, l’engouement pour les séjours longs et intimes favorisa l’essor de « villas thermales ». Selon les registres municipaux, plus de 70 maisons particulières ou petits immeubles étaient soit loués à la saison, soit commandités directement par des familles de notables, industriels ou artistes.

1. La Villa Saint-Jean

  • Adresse : Route de Fontenoy
  • Anecdote : Fréquentée en 1907 par le compositeur Charles-Marie Widor, séduit par la clarté de son jardin d’hiver.

Construite vers 1885, la Villa Saint-Jean fut typique de cette génération de demeures abritant tantôt des familles entières, tantôt des écrivains en quête d’isolement. Sa localisation, à mi-chemin entre bourg et forêt, participait à la fascination qu’elle exerçait.

2. La Villa Clairefontaine / Villa Fleuri

  • Adresse : Ancienne route des Eaux
  • Période d’édification : 1892

Ornée de bow-windows et d’un perron en fer forgé, cette villa accueillait parfois des pensionnaires de marques (notamment, selon « La Vie Thermale » de 1908, une délégation du théâtre impérial de Saint-Pétersbourg). On y servait un « déjeuner franco-russe » en juillet 1912 qui fit l’objet d’un discret article dans la presse locale.

3. Villa Bellevue

  • Situation : Coteau dominant la plaine, à l’Est du centre

Moins fastueuse, mais emblématique des résidences bourgeoises du premier XXe, elle offrait une vue imprenable sur les jardins et la vallée de l’Augronne. On y retrouvait des détails typiques : véranda couverte, grandes baies, pierres sculptées évoquant des fleurs de la région.

L’art de vivre à l’hôtel et à la villa : rituels et sociabilité à la Belle Époque

La richesse des établissements ne se limitait pas à leur architecture. Ils étaient le théâtre d’une sociabilité bien particulière. Venir à Bains-les-Bains signifiait s'intégrer à une micro-société, avec ses rituels :

  • Petits-déjeuners sous la véranda, rythmés par le passage du facteur et les premières lectures du Temps ou de L’Est Républicain.
  • Promenades en calèche, guidées par les cochers d’hôtel, pour relier Saint-Loup ou le parc du Château.
  • Dîners de gala, parfois en présence de musiciens venus d’Épinal, ou concours de poésie improvisés dans les salons.
  • Lectures publiques, parties d’échecs, balades botaniques (déjà !), ou soirées costumées dans les salles d’apparat des plus grands hôtels.

En parallèle, l’aristocratie des villes et la bourgeoisie industrielle se mêlaient aux familles locales, chacune ayant sa table, ses horaires préférés, ses recoins de jardin. Cette stratification de la société se retrouve encore dans certaines pratiques : de vieux registres révèlent que lors de la saison haute de 1911, on servait plus de 2 400 repas par semaine dans les établissements principaux (Gallica/BnF).

Un patrimoine mis à l’épreuve du temps : survivances et réhabilitations

L’éclat des hôtels et des villas thermales de Bains-les-Bains n’a pas traversé le XXe siècle sans pertes : la Première Guerre mondiale, puis la crise économique de l’entre-deux-guerres, provoquent la fermeture progressive de nombreux établissements. Les séjours raccourcissent, la fréquentation stagne puis décline, certains bâtiments abandonnés sont reconvertis en logements sociaux ou détruits, d’autres restent en sommeil derrière leurs façades.

  • En 1960, seuls 8 hôtels étaient encore en activité, contre plus de 40 un demi-siècle plus tôt (source : ancienne Union des Hôteliers Vosgiens).
  • De nombreuses villas subsistent aujourd’hui, parfois réhabilitées en gîtes, centres de soins, ou maisons particulières. Une partie de leur décor d’origine est conservée, notamment portails, lustres, mosaïques ou meubles de salle à manger.
  • Certains établissements sont inscrits à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, comme la façade de l’ancien Grand Hôtel, protégée depuis 2011.

Des initiatives émergent pour redonner vie à ce patrimoine exceptionnel : le circuit « Mémoire des Hôtels », proposé chaque été, offre aux visiteurs la lecture architecturale et historique des principaux sites. Des expositions temporaires, notamment au pavillon des Thermes, présentent archives, cartes postales anciennes et objets rescapés de ces époques florissantes.

Entre mémoire et réinvention : la place des hôtels et villas thermales dans la Vôge d’aujourd’hui

À l’instar de nombreuses stations thermales françaises, Bains-les-Bains doit sa notoriété et son identité à l’abondance de ce bâti conçu pour accueillir, soigner, distraire. Cette histoire laisse une empreinte physique et sociale qui façonne la commune.

  • Le fronton art déco du Pavillon, les initiales en fer forgé du Grand Hôtel, les buis taillés du jardin Bellevue : tous sont les témoins silencieux d’une époque où la vie s’écoulait au rythme des eaux, des concerts et des rumeurs estivales.
  • Le patrimoine bâti, s’il a parfois perdu sa destination d’origine, reste porteur de récits, à travers chaque clef de porte ouvragée ou chaque fresque sauve de la décrépitude.
  • De nouvelles initiatives, qu’il s’agisse d’ateliers d’écriture en villa ou de concerts réappropriant l’ancien kiosque, proposent une redéfinition contemporaine de ces beaux endormis.

Aux yeux du promeneur attentif, Bains-les-Bains continue de raconter, dans la pierre, le verre et la végétation foisonnante de ses anciens hôtels et villas, des histoires d’eau, de soin, de sociabilité. Le thermalisme contemporain redécouvre peu à peu la valeur de ce patrimoine, non comme décor figé, mais comme terreau d’expériences nouvelles. Traverser ces lieux, c’est percevoir derrière les portes closes une vie feutrée, inventive, qui fait toute la singularité de la Vôge.

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