De l’essor à la résilience : Bains-les-Bains face à la fin d'une époque industrielle

16/10/2025

Le temps des usines : une empreinte durable sur la commune

Longtemps, Bains-les-Bains a vécu au rythme du travail industriel. Dès le XIXe siècle, la petite ville se dote de plusieurs ateliers mécaniques, d’ateliers de filature et de tissage, mais surtout d’un pôle métallurgique qui façonne en profondeur son économie et son paysage.

L’industrie du fer s’implante durablement, sous l’impulsion d’entrepreneurs locaux encouragés par la forêt abondante (pour le charbon de bois), la qualité de l’eau et la proximité des voies ferrées – notamment la ligne d’Épinal à Lure inaugurée en 1864. Les "ferriers" de Bains-les-Bains (forges et laminoirs) emploient alors des centaines d’ouvriers. À la même époque, la papeterie Balnot, fondée en 1882, se distingue par sa production d’emballages résistants, alimentée par la fibre d’un territoire sylvestre.

  • En 1900, les activités industrielles de la commune regroupent près de 700 personnes, sur quelque 4000 habitants (Recensement INSEE, 1901).
  • Le canal de l’Est (achevé en 1884) facilite l’exportation des marchandises et accentue l’animation du bourg.

Dans la première moitié du XXe siècle, le travail se partage entre ateliers, usines et thermes : la "cité du labeur et de l’eau", comme la surnommaient parfois les journaux du temps (Le Lorrain, mai 1929).

Un lent basculement : les signes d'un déclin

Dès les années 1960, Bains-les-Bains entre dans une période de repli industriel, à mesure que les filières s’essoufflent au plan national. Le coup d’arrêt le plus visible touche la métallurgie et la papeterie, victimes de la concurrence, du coût des matières premières et de la mécanisation accrue.

  • 1969 : Fermeture de la forge de Bains (près de 100 emplois supprimés sur place et une centaine d’emplois indirects concernés, selon L’Est Républicain).
  • Années 1980 : Repli progressif des ateliers textiles, qui voient leurs commandes chuter.
  • 1992 : Arrêt de la papeterie Balnot, qui ne compte alors plus qu'une trentaine de salariés.

La population active change peu à peu de composition. On note entre 1962 et 1990 une chute d’environ 40% du nombre d’ouvriers résidant sur la commune (Sources : INSEE, recensements décennaux).

Des répercussions humaines et sociales profondes

La disparition étalée, mais continue, des emplois industriels bouleverse la vie de milliers de familles. Les témoignages recueillis dans les années 2000 lors d’ateliers de mémoire organisés à la Bibliothèque Municipale (Archives locales) évoquent à la fois "des départs en Lorraine pour trouver du travail", le développement d’un sentiment "d’abandon par les grandes usines", mais aussi la création de liens de solidarité, parfois inattendus.

Les chiffres confirment une dynamique démographique contrastée :

  • Recensement 1975 : 2091 habitants à Bains-les-Bains.
  • Recensement 1999 : 1622 habitants.
  • Un vieillissement accentué de la population : près de 35% d’habitants de plus de 60 ans en 1999 (contre 23% vingt ans plus tôt, INSEE).

En parallèle, les commerces déclinent, plusieurs écoles ferment des classes et la fréquentation des activités de loisirs recule.

Paysages transformés : les cicatrices et renaissances du patrimoine industriel

Le départ des usines laisse des bâtiments en friche, mais aussi des ressources foncières réinvesties, parfois de façon inventive. Quelques sites emblématiques portent aujourd’hui la trace de cette reconversion :

  • Ancienne papeterie Balnot : devenue terrain d’accueil pour une entreprise d’emballage moderne, puis en partie réaménagée en espace associatif (accueil d’un atelier artistique en 2019, Vosges Matin).
  • Les forges : le site industriel, rasé dans les années 1980, sert aujourd’hui à des activités sportives et à la Fête du Canal, chaque été.
  • Plusieurs maisons ouvrières, situées rue du Canal, abritent aujourd’hui des logements sociaux réhabilités, prix abordable et caractère, répondant à une nouvelle demande résidentielle.

Si l’on regarde les cartes postales d’autrefois, on perçoit le contraste entre les panaches de fumée et la tranquille verdure d’aujourd’hui. Mais les noms de rues (rue des Forges, rue de la Papeterie) et certains détails d’architecture restent des signes discrets du passé ouvrier.

Nouveaux horizons économiques : adaptation et diversification

La décroissance industrielle n’a pas stoppé toute dynamique. La commune a cherché d’autres voies : le tourisme thermal, le développement de l’artisanat et l’accueil de projets agricoles.

  • Thermalisme : Depuis les années 1990, la ville s’affirme à nouveau comme station thermale, accueillant chaque année entre 3500 et 4000 curistes (données 2019, Thermes de Bains-les-Bains), bien loin toutefois des chiffres d’avant-guerre, mais en renouvellement grâce à des cures ciblées.
  • Petite industrie & artisanat : Un atelier de céramique (cité dans L’Éveil vosgien, 2021), un micro-brasseur, quelques exploitations de fruits rouges et de plantes médicinales trouvent un créneau, tout en revendiquant une production ancrée dans le terroir.
  • Accueil d’associations et micro-entreprises : Les friches industrielles, partiellement réhabilitées, servent aujourd’hui à des activités sociales, sportives ou éducatives (maison des jeunes, ateliers partagés).

Cette diversification n’a certes pas offert le même volume d’emplois directs que par le passé. Mais elle dessine une transition vers un tissu économique hybride, où cohabitent services de santé, animation locale et initiatives environnementales.

Témoignages et mémoire vivace : entre fierté ouvrière et nouveaux récits

Des associations comme Le Fil de la Mémoire ou le Foyer d’Éducation Populaire portent depuis deux décennies des projets pour recueillir la mémoire ouvrière : expositions de photographies, enregistrements de témoignages d’anciens papetiers ou forgerons, balades commentées.

Au fil des archives, on retrouve la voix de ceux qui ont vécu le choc de la fermeture : « Quand la papeterie a fermé, il y a eu un grand silence dans la vallée, c’était vraiment comme la fin d’une époque » (témoignage collecté en 2010).

Les jeunes générations, en revanche, redécouvrent parfois ce passé par le biais d’initiatives scolaires ou associatives : projets d’art urbain sur les murs de l’ancienne usine, ateliers d’écriture sur la mémoire ouvrière, création d’un mini-sentier d’interprétation des anciennes forges (2022).

Une histoire en mouvement : observer la transformation d’un territoire

Bains-les-Bains propose aujourd’hui un visage nuancé. Si le déclin industriel a modifié à la fois l’économie, les paysages et la structure sociale de la commune, il a aussi ouvert la voie à des expérimentations, des formes de résilience et une attention nouvelle à l’environnement, au patrimoine et à la qualité de vie.

  • La population reste stable autour de 1400 habitants malgré d’autres défis contemporains (chiffre INSEE, 2021).
  • La vie associative, l’engagement autour du canal et des sentiers, la valorisation des savoirs artisanaux marquent une dynamique de territoire qui, sans oublier les cicatrices du passé, s’attache à écrire de nouveaux récits.
  • L’empreinte industrielle demeure lisible, mais transcende la nostalgie pour devenir le socle de transformations adaptées à l’époque actuelle.

Le destin de Bains-les-Bains rappelle combien la fin d'une ère industrielle concentre autant de défis que d’opportunités. À celui qui prend le temps d’y marcher, le bourg livre un récit continu — celui d’un territoire qui, loin de s’effacer, se réinvente.

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