Une mémoire en action : comment le passé industriel façonne Bains-les-Bains aujourd’hui

20/10/2025

Capter la résonance de l’histoire industrielle au cœur des Vosges

À première vue, Bains-les-Bains s’offre au visiteur à travers le charme apaisé de ses forêts, la douceur de ses thermes ou les vestiges Belle Époque de ses villas. Mais c’est en se penchant sur les murmures discrets du canal de l’Est ou les silhouettes massives, parfois silencieuses, des anciennes usines, que l’on mesure combien l’histoire industrielle a façonné le paysage — et la vie — de cette commune de la Vôge.

Comment ces traces du passé persistent-elles aujourd’hui ? Quelles initiatives les font vivre, entre mémoire vivante, reconversion et valorisation du patrimoine ? Autour de chemins de halage, de fours silencieux, de paroles d’anciens ouvriers et de nouveaux usages, c’est tout un puzzle patrimonial, discret mais essentiel, qui se dessine.

Brève histoire d’une identité industrielle vosgienne

À Bains-les-Bains, l’industrie s’est enracinée avec la métallurgie, les ateliers de serrurerie, de fonderie et les papeteries, tirant parti de la proximité de l’eau, de la forêt et du minerai local.

Quelques repères :

  • XVIIIe siècle : Création de la manufacture royale de Bains-les-Bains, spécialisée dans la serrurerie et la quincaillerie ; elle emploiera plus de 400 ouvriers en 1876 (source : Archives départementales des Vosges).
  • XIXe siècle : Apparition d’ateliers d’horlogerie, de filatures et papeteries. La localité est durablement marquée par l’essor du canal de l’Est (ou canal des Vosges) dès 1882, facilitant export et import.
  • Années 1950-1980 : Les sites industriels se diversifient ; l’usine Solvay, implantée à proximité, fournit de nombreux emplois en lien avec la chimie et le traitement de l’eau.
  • Depuis 1990 : Fermetures d’usines et reconversion progressive des espaces, marquée par la lutte contre la déprise industrielle.

La mémoire de ces activités n’a pas été effacée. Elle subsiste dans les bâtiments, mais aussi dans les récits familiaux et les associations locales, qui ont su maintenir ce maillon essentiel de l’identité communautaire.

Réhabilitation et nouveaux usages : donner une seconde vie aux lieux industriels

Depuis les années 2000, la municipalité de Bains-les-Bains et différentes collectivités ont initié plusieurs projets de reconversion d’anciennes friches industrielles, la plupart du temps avec l’appui du département, de la Communauté d’agglomération d’Épinal ou du dispositif « Sites industriels clés en main » développé par la Région Grand Est (source : Région Grand Est, 2022).

Quelques exemples marquants de réhabilitation :

  • L’ancien site de la manufacture : Situé non loin du bourg, ce vaste ensemble de bâtiments a partiellement fait l’objet d’une réhabilitation pour accueillir la Maison des Associations, des ateliers et des espaces artistiques temporaires. La restauration conserve certains éléments architecturaux industriels : charpentes métalliques d’origine, linteaux de pierre, anciens fours condamnés mais visitables. Ce site accueille parfois des expositions sur l’histoire industrielle locale, organisées par l’association « Mémoires de la Vôge ».
  • Le moulin de la Manufacture : Restauré, il abrite désormais une structure de tourisme rural et un atelier pédagogique sur l’énergie hydraulique et les métiers du passé, en lien avec le Parc naturel régional des Ballons des Vosges.
  • Les friches Solvay : Après la fermeture des activités chimiques, une partie de l’emprise a été dépolluée et transformée en parc paysager, promouvant la biodiversité tout en mettant en avant, sur des panneaux, la mémoire ouvrière du site et ses innovations (notamment la gestion de l’eau et les innovations techniques du XXe siècle).

Ces transformations ne sont pas sans débats, entre mémoire et modernité. Mais elles attestent d’une réelle volonté de ne pas raser l’histoire sous prétexte de dynamiser l’image de la ville. On observe même un regain d’intérêt chez les nouvelles générations, venues s’installer dans la région en quête de sens ou de lieux atypiques.

Musées, balades et mémoire vivante : transmission et partage

Un patrimoine industriel raconté au fil de l’eau

Le canal a longtemps rythmé le va-et-vient des péniches industrielles, en particulier pour les matières premières des usines de Bains-les-Bains. Aujourd’hui, le chemin de halage est devenu un parcours de randonnée et de vélo très fréquenté. À intervalles, de petits panneaux racontent l’histoire de la navigation industrielle et des métiers liés au canal : éclusiers, charretiers, ouvriers de halage.

Dans le même esprit, l’ancienne forge de La Manufacture, toute proche, fait régulièrement l’objet de visites guidées proposées par les bénévoles de l’association patrimoniale locale. À chaque étape, témoignages et photos d’époque replacent ces espaces dans une histoire vivante, loin de l’image figée des « vestiges ».

Événements et initiatives associatives

  • Journées du patrimoine industriel : Plusieurs fois par an, la commune organise, en lien avec la région et l’association « Mémoire Ouvrière des Vosges », des visites thématiques sur l’ancien réseau manufacturier, sur la vie des ouvriers-métallurgistes et les évolutions sociales du XXe siècle. Récemment, des anciens sont venus partager souvenirs et gestes techniques lors d’ateliers « transmission » ouverts aux jeunes élèves des écoles locales (source : L’Est Républicain, 17/09/2022).
  • Le circuit des « bornes à mémoire » : Un itinéraire pédestre balisé par la Communauté d’Agglomération d’Épinal recense dix anciens sites industriels : forges, scieries, papeteries. Chaque borne propose une anecdote ou une photo, permettant de lier marche, architecture et transmission.
  • Le patrimoine revisité par l’art : Des artistes en résidence, accueillis notamment depuis 2020 dans certains bâtiments de la Manufacture, créent des œuvres in situ inspirées par la mémoire industrielle — installations, photos, œuvres sonores — et y organisent des rencontres avec le public.

La mémoire ouvrière : paroles et archives, un patrimoine immatériel

Au-delà des bâtiments, la valorisation de la mémoire industrielle passe par la collecte, la conservation et la transmission de la mémoire ouvrière. Plusieurs actions sont menées, en particulier :

  • Collecte de témoignages : Depuis 2010, un groupe d’anciens ouvriers en partenariat avec les archives départementales a constitué une cinquantaine d’entretiens enregistrés (archives sonores, retranscrites et diffusées lors de projections ou sur le site de la commune). Ces voix racontent la vie quotidienne, les solidarités de quartier, les grèves des années 1970 ou l’évolution de la place des femmes dans les ateliers.
  • Mise en lumière des savoir-faire disparus : Des visites commentées proposent de comprendre les gestes d’antan : l’affûtage, le moulage, la trempe, en parallèle d’ateliers intergénérationnels de ferronnerie ou de transformation du papier.

Quelques photos rares ont même été récemment exposées à la médiathèque, notamment un cliché de la sortie d’usine de 1932 et d’impressionnants portraits d’ouvrières papetières (source : Archives UDERO Vosges).

Vers un tourisme et un quotidien réconciliés avec l’industrie

L’agrandissement de l’offre touristique passe désormais, à Bains-les-Bains, par la valorisation de ces racines industrielles. Loin de n’être qu’un argument « musée », cette mémoire donne du relief à l’image de la station thermale et devient un atout pour un tourisme de proximité :

  • Un pôle de tourisme mémoire : L’office de tourisme propose de nouveaux parcours thématiques, à pied ou à vélo, ponctués de récits enregistrés (grâce à des QR codes sur site) et de podcasts évoquant le passé industriel.
  • Mise en avant d’un « patrimoine du quotidien » : Dans les documents de promotion, l’accent est désormais mis sur les histoires individuelles et familiales, offrant un autre visage que celui, plus classique, des villes d’eau.
  • Des lieux hybrides : Plusieurs anciens ateliers abritent désormais des espaces partagés (ateliers d’artisans, cafés associatifs, tiers-lieux), contribuant à l’animation du centre-bourg hors saison touristique.

Par cette approche, la mémoire industrielle ne demeure pas figée dans une nostalgie muséale. Elle compose, aujourd’hui encore, un socle identitaire et une ressource pour imaginer un avenir, où les savoir-faire sont sources d’inspiration.

Ouverture : La mémoire industrielle, matière vivante pour demain

À Bains-les-Bains, patrimoine industriel et quotidien s’entrelacent, loin des images de carte postale ou des seuls ouvrages d’histoire. Loin d’être cantonnée à de grands gestes patrimoniaux ou à la sanctuarisation, la mémoire ouvrière se tisse à travers des lieux réinvestis, des récits transmis, et des initiatives qui redonnent des usages collectifs à d’anciens espaces de travail. Elle est aussi, de plus en plus, le ferment de projets artistiques et associatifs, de rencontres intergénérationnelles et de réflexions sur la transition écologique.

C’est peut-être dans cette articulation entre passé et présent, entre valorisation et transformation, que réside la véritable richesse du patrimoine industriel de Bains-les-Bains : celle d’un héritage qui se conjugue, au fil du temps, au futur.

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