Au fil du parc thermal : empreintes d’histoire et de vie à Bains-les-Bains

29/10/2025

L’eau, le parc et la ville : un récit entremêlé

Installée au cœur d’une vallée tranquille, la station thermale de Bains-les-Bains doit son caractère unique à la présence de dix sources dont les vertus étaient célébrées dès l’Antiquité. Mais au-delà des propriétés de l’eau, c’est tout un tissu patrimonial et humain qui s’est noué autour du parc thermal. Ce lieu, aujourd’hui serein, dit la lente transformation d’un village rural en station renommée, puis en écrin patrimonial à part entière.

Le parc, d’environ 4 hectares selon les registres cadastraux du XIXe siècle (Base Mérimée, Inventaire général), n’est pas qu’un espace vert : il enveloppe les principales architectures qui jalonnent la vie de la station, de la grande époque du thermalisme à nos jours. Chaque allée, chaque façade contribuent à raconter l’évolution de Bains-les-Bains bien au-delà des clichés de l’eau bienfaisante.

Naissance et premier âge d’or : le Chaleureux XIXe siècle

La vogue des eaux et la structuration du parc

Au début des années 1800, la reconnaissance officielle du thermalisme place la localité sous les projecteurs. Dès 1812, les eaux de Bains-les-Bains sont prescrites pour leurs effets sur les affections rhumatismales et cardio-vasculaires (Monographie de la station thermale, Dr. H. Hannequin, 1859). L'afflux de curistes incite à l’aménagement, catalysant la création du parc et l’essor rapide des infrastructures :

  • 1824 : Construction de la première galerie thermale couverte, soon suivie par des hôtels et pensions à proximité immédiate du parc.
  • 1844 : Ouverture de la nouvelle buvette et de la salle des fêtes, points de rencontre et d’animation sociale.

Trois architectes marquent de leur empreinte ces premières années : Joseph-Ignace Jobez (le mécène local), l’architecte parisien Émile André, et l’ingénieur départemental Favier. Le parc prend alors une physionomie associant rigueur classique et pittoresque, alternant allées droites, bosquets, et pièces d’eau, dans le goût de l’époque.

Thermalisme, sociabilité et modernité

Le parc thermal est conçu comme un support d’activités sociales. Les promenades, les jeux de société en plein air, les concerts sous le kiosque rythment la saison thermale : en 1864, on relève plus de 1 200 curistes par saison (Société philomatique vosgienne). Le Grand Hôtel Thermes (construit en 1857) illustre cette mutation : architecture néoclassique, matériaux nobles, vastes galeries ouvrant sur le parc, déclinant l’art de vivre thermal.

Entre coups d’éclat et blessures : le XXe siècle, un miroir des évolutions

De la Belle Époque aux années noires

Le début du XXe siècle prolonge les fastes : construction de la buvette-pavillon (1912), ajout d’espaces de cure, extension de l’hôtel. Mais la Première Guerre mondiale – Bains-les-Bains, comme d’autres stations, accueille des blessés évacués du front – puis la crise des années 1930 ralentissent brutalement les investissements. L’ambiance d’avant-guerre reste perceptible : photographies, cartes postales et registres d’admission témoignent d’une clientèle exigeante et cosmopolite. À son pic, la station reçoit jusqu’à 2 500 curistes annuels dans les années 1930 (FranceArchives).

  • L’inscription en 1933 de plusieurs éléments du domaine thermal aux Monuments historiques ancre leur valeur patrimoniale.
  • L’entre-deux-guerres voit aussi la création du casino, aujourd’hui disparu, symbole de la dualité cure/distraitement alors en vogue.

De la cure à la santé : nouvelle vie, nouveaux usages

Après 1945, l’État encourage la médecine thermale, le parc devient alors un laboratoire à ciel ouvert : espaces de repos, plantations thérapeutiques (la passionnée du blog, Amandine, rappelle la culture de valériane et de lavande, destinée aux infusions offertes aux curistes jusque dans les années 1960, source locale), parcours de marche adaptés… Les bâtiments aussi se modifient : la salle des fêtes accueille des projections de cinéma, puis des réunions associatives. Le Grand Hôtel Thermes adapte ses chambres aux standards modernes, tandis qu’une aile nouvelle (moderne mais respectueuse des volumes initiaux) est construite en 1964 par l’architecte René Chatriot.

Le parc thermal sert ainsi de témoin muet aux transformations des attentes sociales : du loisir bourgeois au bien-être médicalisé, jusqu’aux séjours de rééducation de la Sécurité sociale, qui prennent le relais dans les années 1970.

Les bâtiments du parc : mosaïque de styles, miroir de l’évolution locale

Pavillons historiques et architectures en dialogue

Quelques édifices emblématiques illustrent la façon dont le parc intègre l’histoire locale :

  • L’établissement thermal : Construit en 1765, réaménagé en 1857 et 1935. À la fois massif et décoré avec sobriété, il mêle pierre locale, ferronneries 1900 et vitraux Art déco. Son “Grand Vestibule” est classé Monument historique.
  • Grand Hôtel Thermes : Édifié en 1857, transformé au fil des décennies : façade néoclassique (balustres en grès rose, pilastres, fronton orné), suites donnant sur le parc. Témoin du passage du style Empire au classicisme provincial, il accueille jusqu’à 180 hôtes dans les années 1900.
  • Le Pavillon de la Buvette : Achevé en 1912, architecture typique du début XXe siècle avec ses bow-windows et ses vitraux colorés, salle de retrouvailles et de convivialité, puis lieu de foires aux livres et d’ateliers après 1980.
  • Kiosque à musique : Structure métallique de 1896 (restaurée en 2012), fleuron de la sociabilité locale, témoin des concerts et des bals populaires.

Chacun de ces bâtiments est inscrit dans une logique de « front urbain snobant l’artificiel » (selon l’expression d’Eugène Klein, architecte vosgien, cité par la Revue Lorraine d’Architecture, 1984). Dans ce dialogue entre classicisme, touches Art déco, et modernismes modestes, se lit le souci adaptatif d’une bourgade qui a constamment cherché l’équilibre entre tradition et innovations successives.

La nature en partage : le parc comme mémoire vivante

Arbres, allées et essences rares

La promenade dans le parc thermal ne se réduit pas à une flânerie parmi quelques platanes vénérables. La composition végétale actuelle résulte d’une opération de replantation massive dans les années 1950, suivie d’ajouts emblématiques :

  • Érables plane et sycomore : plantés en 1895 à l’occasion du centenaire du thermalisme reconnu.
  • Ginkgo biloba : arbre rare offert à la station en 1987 par la ville jumelée japonaise d’Uji, aujourd’hui classé arbre remarquable.
  • Alignements de tilleuls : guidant toujours les curistes vers le pavillon principal, faisant écho au classicisme du tracé d’origine.

Les jardiniers municipaux entretiennent encore des plates-bandes dédiées à la flore médicinale locale. D’après la plaquette municipale de La Vôge-les-Bains (édition 2021), plus de 40 variétés d’arbustes, fleurs et rosiers spécifiques à la voie thermale sont ainsi conservées.

La faune : présence discrète et symbolique

La diversité du parc attire de nombreux oiseaux : mésanges, merle noir, pic épeiche, parfois la hulotte en soirée – autant d’ambassadeurs d’une biodiversité urbaine insoupçonnée. L’écrivain vosgien Paul-Émile Victor, curiste assidu dans les années 1960, évoquait “le chant limpide de la mésange, l’éclipse d’un chat botté, l’éclat d’un chevreuil parfois égaré” (Journal de cure, Fonds Victor, bibliothèque de Remiremont).

Bains-les-Bains, une identité façonnée par son parc thermal

Le parc thermal et ses bâtiments disent tout autant l’histoire “grande” de la station que la mosaïque des vies quotidiennes : fils d’ouvriers venus des scieries voisines, notabilités du Second Empire, réfugiés de la Grande Guerre, ingénieurs EDF (l’hydroélectricité a constitué un second pôle, voisin, dès 1898), résidents de l’Établissement Thermal aujourd’hui… Tous ont partagé ces espaces, leur beauté discrète et leur ancrage hors du tumulte.

La reconversion en 2021 d’une partie des lieux (installation d’ateliers d’artistes, coopératives d’insertion) révèle à quel point le parc reste un point d’ancrage. Les associations de sauvegarde et les groupes de promeneurs complètent à présent les conversations des curistes, prolongeant ce dialogue entre mémoire et usages vivants qui fait la belle singularité de Bains-les-Bains.

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