Sur les traces des industries disparues : que reste-t-il aujourd’hui à Bains-les-Bains ?

07/10/2025

Introduction : un patrimoine industriel discret mais persistant

Nichée au cœur des Vosges, Bains-les-Bains s’affirme avant tout pour ses eaux thermales. Pourtant, en marge des thermes et des sentiers boisés, la commune abrite des traces saisissantes de son passé industriel. Pendant près de deux siècles, usines et ateliers ont modelé le paysage et la société locale. Aujourd’hui, si le brouhaha des machines s’est tu, il demeure, à qui se donne la peine de regarder, de nombreux vestiges industriels racontant ce passé : des murs en ruine au détour d’un chemin, d’anciennes bâtisses reconverties, un pan de mur qui résiste à la végétation, le souvenir palpable d’une aventure ouvrière singulière. Tour d’horizon des témoins encore visibles.

La forge et la tuilerie de Fontenoy-le-Château : mémoire des métiers du feu

Baignant dans la Vôge, à proximité immédiate de Bains-les-Bains, les sites de Fontenoy-le-Château illustrent de façon spectaculaire l’ancrage ancien des activités du feu dans la région. Certes, Fontenoy n’est plus Bains, mais leurs histoires industrielles sont imbriquées, le travail du fer et de la terre cuite irriguant pendant des décennies l’économie de cette partie de la vallée de la Saône.

  • La forge de Fontenoy : fondée dès le XVIIe siècle, puis agrandie au XIXe, la forge a employé jusqu’à 350 ouvriers. Elle fabriquait principalement des pièces pour l’industrie, mais aussi des objets du quotidien. Aujourd’hui, plusieurs bâtiments de la forge subsistent : selon l’association locale Le Fil d’Argile, on reconnaît les halles, la maison du contremaître (aujourd’hui résidence privée) et un vaste bassin qui dialoguait autrefois avec le bief d’alimentation hydrique. Le promeneur curieux peut les repérer depuis la route de la Manufacture.
  • La tuilerie : située en retrait sur la route de Bains, la tuilerie Fournier se distingue par la silhouette sobre de son ancien séchoir à claies aujourd’hui abandonné. L’édifice aux briques rouges, bien qu’en partie envahi par la végétation, trahit encore la fabrication ininterrompue de tuiles et de briques jusqu’au début du XXe siècle. Quelques cheminées, désormais mutiques, ponctuent l’horizon.

Ces deux sites témoignent sans détour du rôle des matières premières locales (eau, bois, argile, minerai), mais aussi d’une tradition d’innovations techniques : on y expérimenta la machine à vapeur dès 1820, et l’on y adapta des fours Hoffmann dans les années 1880, favorisant la modernisation des productions (source : Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, 2011).

L’empreinte d’une papeterie : l’usine de la Manufacture Royale

Plus proche du bourg de Bains-les-Bains, le domaine de la Manufacture Royale, à 3 km au sud-ouest dans la vallée du Bouchot, réunit à lui seul plusieurs strates de l’histoire industrielle locale. Créée en 1733 sur ordre du duc de Lorraine Stanislas Leszczynski (source : archives départementales 88), cette papeterie devint vite un fleuron régional : jusqu’à 300 ouvriers y travaillaient vers 1850. Elle produisait papier d’impression, papier filigrané, et surtout papiers fins pour la comptabilité et l’administration, vendus à Paris et même en Allemagne.

  • Le bâtiment principal, reconverti en chambres d’hôtes, conserve sa silhouette imposante et ses hautes fenêtres allongées. Il s’agit de l’ancien atelier de production. Le promeneur attentif remarquera, sur la façade, les traces d’anciens rails desservant les étages, témoins de l’époque où la force hydraulique actionnait moulins et presses.
  • Le canal : longeant la manufacture, un canal de dérivation de 900 mètres, creusé au XVIIIe siècle puis élargi au fil du temps, subsiste. Son tracé précis, en partie maçonné, desservait les installations hydrauliques tout au long des XIXe et XXe siècles.
  • Les dépendances ouvrières, en contrebas, complètent l’ensemble. Les maisons des contremaîtres, alignées le long du chemin, rappellent l’époque où la manufacture constituait un véritable village dans le village : école, infirmerie, four à pain, potager collectif. Aujourd’hui, certaines servent de gîtes ; d’autres sont à l’abandon, mais la plupart ont conservé leur architecture d’origine.

Un panneau d’interprétation installé par la communauté de communes détaille cette histoire pour le visiteur. L’ensemble du domaine, inscrit à l’Inventaire des Monuments Historiques depuis 1988, reste l’un des rares ensembles presque complets de manufacture papetière française du XVIIIe siècle (base Mérimée).

Les anciens moulins et scieries sur le Côney et ses affluents

L’eau, omniprésente autour de Bains-les-Bains, fut longtemps le moteur des entreprises rurales. Au XIXe siècle, on comptait jusqu’à sept moulins actifs le long du Côney, sans compter les nombreux ateliers annexes : scieries, filatures, huileries (statistiques : Annuaire Départemental des Vosges, 1883).

  • Le moulin du Bois Joli : identifiable par son puits semi-muré et sa roue à aubes en bois reconstituée par une association locale, il ne fonctionne plus mais a servi jusqu’en 1971. La bâtisse, aujourd’hui maison privée, a gardé ses ouvertures basses typiques des moulins à farine.
  • La scierie Durupt, sur la commune nouvellement formée de La Vôge-les-Bains, témoigne encore par ses hangars ajourés et la présence d’un « tapis roulant » en fonte, vestige patent de la mécanisation précoce.

Nombre de ces anciens moulins sont devenus maisons d’habitation, gîtes ou fermes ; certains n’ont conservé que la trace d’un bief ou un panneau toponymique – mais tous révèlent, en creux, le lent retrait de l’activité artisanale. Le cadastre napoléonien et les plans anciens, consultables à la mairie, permettent d’en retracer l’évolution.

Au fil du chemin de fer : gare, ponts et vestiges du tacot

Dans la mémoire locale, l’arrivée du train à Bains-les-Bains (inauguré en 1868, sur la ligne Aillevillers-Épinal) a profondément transformé la géographie industrielle : acheminant matières premières et produits manufacturés, il symbolise l’ouverture vers l’extérieur (source : La Vie du Rail, 2003).

  • La gare de Bains-les-Bains : vaste bâtiment en pierres de taille, elle a vu passer jusqu’à cinq trains quotidiens au plus fort du thermalisme. Depuis la fermeture aux voyageurs en 2018, elle conserve sa façade d’origine avec ses marquises métalliques, son horloge et la maison du chef de gare attenante. Les quais, bien que désaffectés, sont encore visibles.
  • Le pont du Tacot : pont en pierre à arche unique sur la Creuse, il portait la petite ligne secondaire à voie métrique qui reliait Bains-les-Bains à Xertigny (exploité de 1903 à 1962). Aujourd’hui piéton, il est signalé par une plaque commémorative.
  • La maison du garde-barrière, isolée à la sortie sud de Bains, garde encore, sur son pignon, la sonnette mécanique et le crochet de la barrière, presque intacts.

Si la voie ferrée côté La Chapelle-aux-Bois a été démantelée, sa plateforme longe à peu près la Voie Verte actuelle : une signalisation historique en rappelle l’itinéraire.

Héritages thermaux et industrie du bien-être

La tradition industrielle de Bains-les-Bains ne se résume pas à forges et papeteries. La plus pérenne fut (et reste) celle du thermalisme, véritable industrie du bien-être. Ici, l’envers du décor recèle des équipements techniques moins spectaculaires mais tout aussi signifiants.

  • Anciens bâtiments de la chaufferie thermale : ils se logent en retrait du grand établissement thermal, de style néo-classique (construit en 1824, réaménagé au XXe siècle). Les vastes sous-sols voûtés, qui abritaient chaudières, fours et réseaux d’écoulement, sont en partie accessibles lors des Journées du Patrimoine. Leur système de conduites en fonte du XIXe fascine encore les passionnés (source : Service du Patrimoine de la Ville de Bains-les-Bains).
  • Bâtiments d’accueil des curistes du parc thermal : la Rotonde et le Pavillon des Sources, parfaitement restaurés, rappellent le temps où le thermalisme mobilisait un personnel considérable (plus de 60 employés sur le seul site thermal en 1910).

À cela s’ajoutent, dans les coulisses, quelques cabanes de traitement technique de l’eau et une ancienne glacière industrielle en brique, témoignages discrets de l’effort d’industrialisation du bien-être.

Ouvrages hydrauliques et patrimoine en réaffectation

Bien d’autres traces parsèment discrètement le territoire communal et ses hameaux :

  • Le barrage de la Plaine d’Offroicourt, érigé en 1873 pour alimenter moulins, usines et fontaines publiques, subsiste, bien qu’envasé, avec son imposant déversoir en pierre de taille.
  • La passerelle métallique sur le canal d’alimentation, dite « passerelle de l’usine à gaz » : vestige d’une usine de production de gaz de ville (active de 1887 à 1932), elle a été conservée pour ses qualités esthétiques et techniques.
  • Réseaux souterrains de drains et d’égouts, hérités de la croissance industrielle du XIXe siècle, qui alimentaient à la fois industries et endroit publics (informations : Archives municipales de Bains-les-Bains).

Certains de ces ouvrages bénéficient aujourd’hui de programmes de préservation ou de reconversion : des visites guidées et randonnées thématiques sont régulièrement proposées par l’Office de Tourisme, mettant en lumière ces témoins à la fois modestes et émouvants. D’autres sont en attente d’une valorisation plus affirmée par la collectivité.

L’industriel, une histoire lisible dans le paysage quotidien

À Bains-les-Bains, le passé industriel n’est pas figé dans des musées. Il se lit, souvent en filigrane, dans la géographie même du village : dans la courbe d’un ancien canal, la silhouette massive d’un séchoir à tuiles, l’emplacement d’un pont ou la présence de maisons alignées autour d’une ancienne cour d’usine. Ces éléments ne racontent pas la nostalgie – ils ouvrent sur la réalité de territoires qui se sont réinventés à mesure que l’industrie battait en retraite.

Marcher dans Bains-les-Bains, c’est donc faire l’expérience d’une histoire ouvrière et technique à ciel ouvert, à condition d’ouvrir l’œil et d’accepter la part de secret que les vestiges gardent encore en eux. Chaque ruine, chaque bâtiment, chaque ouvrage évoque des vies, des gestes, le lien intime entre nature et invention humaine.

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