Vôge : un territoire sans cesse redessiné par l’histoire administrative

08/06/2025

Introduction : la Vôge, terrain d’expériences administratives

La Vôge n’a jamais été ce pays figé que l’on imagine parfois derrière ses collines boisées, ses rivières lentes et ses villages de grès rose. Ici, l’histoire locale n’est pas qu’affaire de châteaux et de lavoirs. Elle s’écrit aussi dans les arcanes administratives, depuis les bouleversements de la Révolution jusqu’à la récente création de La Vôge-les-Bains. Loin d’être de simples découpages sur une carte, ces évolutions ont façonné des solidarités nouvelles et parfois bousculé des identités anciennes. Mais comment la Vôge a-t-elle traversé (et parfois anticipé) ces mutations ? Cette question révèle des histoires parfois méconnues, où l’adaptation a fait le sel du territoire.

Aux origines : la Vôge, héritage d’anciennes frontières

La Vôge, cette région au sud-ouest des Vosges, correspond à une ancienne unité paysagère et historique, héritée du royaume franc et du duché de Lorraine. Si Bains-les-Bains, Fontenoy-le-Château ou Harsault sont de noms connus, c’est d’abord parce qu’ils furent au cœur d’anciens axes de passage et d’un dense réseau de petites paroisses.

Au XVIIIe siècle, la Vôge s’inscrit dans une mosaïque de bailliages et de seigneuries, relevant tantôt de la Lorraine ducale, tantôt du royaume de France, selon les aléas des alliances et des héritages. Les Carte de Cassini (fin XVIIIe siècle) en témoignent, dévoilant un tissu local construit sur la polycentralité et une gestion morcelée des biens et pouvoirs (Géoportail – Carte de Cassini).

  • La Vôge n’a jamais formé une unité administrative avant la Révolution, mais plutôt un « pays » vécu, entre Marne et Moselle, traversé par la vallée du Côney.
  • Jusqu’en 1790, près de 30 paroisses constituaient ce puzzle, leur organisation tournant autour de la cure, du four et du ban communal.

La Révolution : la rupture du vieux monde

L’année 1789 abolit une organisation millénaire au profit des départements, cantons et communes. Les bailliages disparaissent, de nouvelles frontières émergent. C’est la naissance du département des Vosges, officiellement en 1790. La Vôge, pour la première fois, est évoquée comme partie intégrante de l’arrondissement d’Épinal, mais en réalité, elle se retrouve scindée en plusieurs entités communales et cantonales.

  • Bains-les-Bains est érigée en chef-lieu de canton, aux côtés de Châtel-sur-Moselle ou Plombières.
  • La vie administrative devient celle de la mairie, du conseil municipal, des registres d’état civil désormais centralisés.
  • Ce nouveau découpage bouscule les habitudes : les villages naguère rattachés à une même seigneurie trouvent des affiliations différentes. La solidarité paroissiale cède le pas à la citoyenneté communale.

Un fait marquant : la création du canton a permis une première dynamique de coopération intercommunale, bien avant l’heure, avec la gestion collective des routes et des écoles. À Bains-les-Bains, dès l’an V (1797), le rattachement de la gestion forestière – cruciale dans la Vôge – fut l’objet de débats enflammés lors des conseils municipaux (Archives départementales des Vosges, série 2E).

XIXe siècle : modernisation, centralisation et résistances locales

Le XIXe siècle, marqué par l’essor de la préfecture et la montée de l’État, est aussi celui de la résistance : dans la Vôge, on subit parfois le poids de décisions venues d’Épinal ou de Paris. L’administration Napoléonienne introduit un maillage serré d’institutions :

  • La création des écoles rurales (loi Guizot de 1833), rapidement suivie d’un regroupement des petites communes autour d’un maître d’école – dont le logement est parfois communal.
  • La multiplication des archives communales : dans la salle de la mairie de Fontenoy-le-Château, on conserve encore les registres scolaires, traces des premiers recensements administratifs, précieusement exposés une fois l’an lors des journées du patrimoine (Mairie de Fontenoy-le-Château).
  • L’arrivée du chemin de fer à la fin du XIXe siècle (ligne d’Épinal à Bains-les-Bains, 1868), conséquence directe du lobbying des élus auprès de la préfecture pour désenclaver le secteur (Archives numérisées des Vosges).

Cependant, la centralisation suscite aussi des crispations. Les bastions de l’ancien monde (paroisses, conscrits et « sociétés de secours mutuel ») résistent – en témoignent les nombreux courriers échangés entre maires et sous-préfets sur la nomination des instituteurs ou la gestion des forêts communales.

Les mutations du XXe siècle : démographie en recul, nouvelles stratégies d’alliance

Après la Première Guerre mondiale, la Vôge, comme tout le sud des Vosges, subit un recul démographique accéléré : la population du canton de Bains-les-Bains passe de 7 000 habitants en 1886 à 4 500 en 1954 (INSEE). Résultat : les petites communes se retrouvent en difficulté pour assurer seules l’entretien des écoles, rues et édifices publics.

  • En 1938, la fusion de certaines écoles rurales marque une première collaboration imposée par l’État mais acceptée par nécessité.
  • L’après-guerre voit l’apparition des « syndicats intercommunaux », embryons de la coopération moderne. Le Syndicat d’adduction d’eau potable de la Vôge, créé en 1962, alimente alors 18 communes, illustrant la mutualisation en réponse à la raréfaction des ressources humaines et financières (source : Archives départementales des Vosges, série 2104W).

La création de la Communauté de communes du Pays de la Vôge, en 1999, renforce ce mouvement. Ce n’est plus seulement la survie qui motive, mais la volonté de porter des projets d’envergure : tourisme thermal, espaces naturels, développement durable.

Années 2000-2010 : l’ère des grands regroupements et la naissance de La Vôge-les-Bains

La réforme territoriale engagée par l’État à partir de 2010 bouleverse profondément l’organisation locale : il s’agit désormais de rationaliser, de regrouper, et donc de faire disparaître des entités parfois centenaires. En 2017, trois communes historiques – Bains-les-Bains, Harsault et La Manufacture – fusionnent pour donner naissance à La Vôge-les-Bains, chef-lieu d’un vaste territoire de près de 2 600 habitants (chiffres INSEE 2018).

  • Cette création s’inscrit dans la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) de 2015, qui accélère les fusions de communes afin d’atteindre une taille critique pour peser sur les décisions départementales.
  • En 2017, la communauté de communes fusionne à son tour avec celle d’Épinal et Plombières pour former la Communauté d’Agglomération d’Épinal, renforçant les synergies notamment pour les projets économiques et environnementaux.

Cette adaptation n’a pas été exempte de débats houleux. Opposition d’une partie des élus, craintes de perdre une part d’identité, difficultés à homogénéiser les fiscalités… autant de « grandes » questions qui, localement, prennent un tour très concret. Mais la fusion a permis d’assurer la survie d’équipements publics : maison de santé, école et services à la personne, jusque-là menacés faute de moyens.

Des anecdotes témoignent de la période : lors du premier conseil municipal de La Vôge-les-Bains, l’ordre du jour portait sur l’adoption d’un nouveau blason et la répartition des sièges – symboles d’une identité en pleine recomposition (Source : Mairie de La Vôge-les-Bains).

Reconstruire l’attachement, bâtir l’avenir : la Vôge comme laboratoire

Ce qui frappe, c’est la capacité de la Vôge à transformer la contrainte administrative en tremplin pour de nouvelles initiatives.

  • La création de circuits courts et d’entreprises solidaires, adossées à la Communauté d’Agglomération, favorise l’émergence d’économies de proximité. À Plombières et La Vôge-les-Bains, plus de 30 % des nouvelles entreprises créées depuis 2018 sont issues de regroupements ou coopératives – un record pour le département (source : CCI des Vosges).
  • La Maison de la Vôge, nouveau centre socio-culturel, née de la fusion, devient rapidement le point névralgique de la vie locale, animant échanges culturels et actions intergénérationnelles (www.lamaisondelavoge.fr).
  • La coopération touristique s’est grandement amplifiée : accueil vélo, sentiers de randonnée balisés, festivals communs… Le « passeport touristique de la Vôge », lancé dès 2020, attire chaque année plus de 3 000 visiteurs, d’après l’Office de tourisme de la Vôge-les-Bains.

Si certains regrettent la dilution de l’identité locale, nombreux sont ceux qui saluent de nouvelles solidarités. Le territoire, plus visible, a su gagner des dotations, attirer médecins et artisans, rendre attractif ce bout de la Vôge autrefois perçu comme périphérique.

Le mot de la fin : entre héritage et innovation, une Vôge toujours en mouvement

La Vôge incarne, à sa manière, l’histoire des campagnes françaises : il n’y a jamais eu de rupture brutale, mais une série d’ajustements, parfois dans la douleur, souvent par pragmatisme. C’est dans les transitions administratives successives – de la Révolution aux intercommunalités récentes – que s’écrit aussi la capacité d’un territoire à se réinventer sans renier ce qu’il est.

Sous les arceaux de Bains-les-Bains, sur la place de La Vôge-les-Bains où l’on croise la mémoire des anciens et les jeux des enfants, les adaptations administratives se lisent dans la vie quotidienne : ici, la carte d’électeur voisine avec la feuille d’émargement d’un club sportif ou d’une association culturelle. Peut-être qu’une part de l’avenir du territoire réside dans cette capacité à faire dialoguer l’héritage et l’innovation, pour que la Vôge reste, décidément, une terre singulière et mouvante.

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